« La face cachée des croissances économiques en Afrique de l’Ouest » : une analyse de Chabi Yayi

Diplômé d’un Bachelor en Sciences Économiques de l’Université de Montréal et d’une Maîtrise en Sciences de l’Innovation et de l’Entrepreneuriat à HEC Paris, Chabi Yayi combine expertise académique et engagement citoyen pour relever les défis du développement en Afrique. C’est ce qui l’a amené à fonder en 2010 la Jeunesse Engagée pour le Changement et son Avenir (JECA). Il donne corps à cette ambition en participant aux élections législatives de 2015 au Bénin. En 2023, il est élu Secrétaire aux Relations Extérieures du parti Les Démocrates(LD), le principal parti de l’opposition au Bénin, puis en 2024 secrétaire exécutif du Cadre de concertation des Forces de l’Opposition. Très porté sur les questions géostratégiques et leurs influences sur l’économie, il a publié plusieurs tribunes sur les conséquences de la fluctuation du dollar, les impacts de la guerre Russie-Ukraine, tribunes influencées par sa vision progressiste et inclusive du Bénin et de l’Afrique. Entrepreneur agricole, Chabi Yayi dirige une coopérative de producteurs basée à Tcharourou au nord du Bénin, prouvant ainsi son engagement pour le développement rural et la valorisation des produits locaux. L’intégralité de sa réflexion.

 

La croissance devrait s’accélérer dans la région Afrique de l’Ouest, le taux moyen estimé passant de 3,2 % en 2023 à 4 % en 2024 et 4,4 % en 2025 selon la BAD Malheureusement, derrière ces agrégats flatteurs se cachent des réalités autres.

 

La croissance économique a toujours été considérée comme le baromètre clé permettant d’évaluer la pertinence des politiques économiques. En effet, considérer la somme de la valeur créée par les agents économiques sur une période d’un an, permet de juger la vitalité d’une économie. Rappelons que la croissance économique est mesurée par la variation du produit intérieur brut.

 

La croissance devrait s’accélérer dans la région Afrique de l’Ouest, le taux moyen estimé passant de 3,2 % en 2023 à 4 % en 2024 et 4,4 % en 2025 selon la Banque Africaine de développement.

 

Malheureusement, derrière ces agrégats flatteurs se cachent des réalités autres. Très récemment, dans six pays de la CEDEAO, malgré qu’ils soient parmi les meilleures croissance du continent, 30% de leur population vivaient avec moins de 1.90 dollars par jour. Les 1% les plus riches des ouest africains gagnent plus que le reste de la population de la région réunie.Une croissance du PIB par habitant de 1 % est associée à une réduction de la pauvreté de seulement 1 % dans la région, contre 2,5 % dans le reste du monde selon le dernier rapport Pulse de la Banque Mondiale d’Avril 2024. Comment expliquer qu’en Afrique subsaharienne la croissance économique ne permet pas une réduction de la pauvreté d’une même ampleur que partout dans le monde ?

Une des explications est la structure de nos économies : cette croissance est tirée par l’augmentation des prix des matières premières, ce qui nous rend vulnérables aux chocs externes. Lorsque les prix chutent, nos économies en subissent les conséquences immédiates, démontrant notre dépendance et notre fragilité.

 

Intéressons-nous aux inégalités. Un des outils utilisés en économétrie pour illustrer ce processus afin de le décrire est la courbe de Lorenz qui est un outil graphique utilisé pour illustrer la répartition des ressources dans une population donnée. Elle permet de visualiser les inégalités économiques en comparant la distribution effective des ressources. Lorsqu’il y a croissance économique, même si on constate à court terme une amélioration de l’emploi et des revenus des classes moyennes, on constate rapidement que les revenus du capital augmentent plus vite que les revenus du travail comme l’a si brillamment documenté Thomas Picketty. Ce renforcement des inégalités s’accompagne des tensions économiques, sociales avec la polarisation économique comme corollaire.

 

Le meilleur moyen pour nous pays africains de sortir de cet engrenage est de travailler à ce que la croissance soit inclusive. En effet, les politiques publiques doivent accorder autant d’importance à la croissance économique qu’à d’autres indicateurs comme le coéfficient de Gini ou l’Indice de développement humain qui mettent en exergue d’autres facettes du développement du pays. Intégrer la justice sociale à travers un vrai mécanisme de redistribution permettrait de réduire les inégalités d’opportunités et de travailler à une politique d’aménagement du territoire équilibrée.

 

Pour réduire les inégalités et promouvoir une justice sociale, nous devons repenser les systèmes fiscaux pour les rendre plus justes. Il est essentiel de renforcer le rôle et la progressivité de l’impôt sur le revenu, garantissant que les citoyens les plus aisés contribuent davantage, tout en allégeant la charge fiscale des plus démunis. Les taxes indirectes, telles que la TVA, qui frappent les riches et les pauvres de manière uniforme, doivent être progressivement réduites car elles exacerbent les inégalités. Ces fonds publics doivent être stratégiquement alloués pour offrir une meilleure égalité des chances, en finançant prioritairement l’éducation, la santé et une protection sociale universelle. En valorisant les métiers essentiels comme ceux des enseignants et des médecins, et en leur garantissant des rémunérations compétitives, nous pourrons freiner l’exode des talents et renforcer les piliers du développement humain.

 

Sur le plan économique, la priorité doit être donnée à la transformation structurelle de nos économies. Il s’agit de passer d’une position de « pricetaker » (soumission aux fluctuations des prix des matières premières) à celle de « price maker », grâce à la diversification et la valorisation locale des produits. Une économie axée sur les besoins de consommation intérieure et non sur les cultures de rente permettra de réduire la dépendance extérieure. Une économie axée sur les besoins de consommation intérieure et non sur les cultures de rente permettra de réduire la dépendance extérieure. Protéger nos industries embryonnaires devient impératif face àla doxa ultralibérale qui nous impose d’ouvrir nos économies au monde sans protection, sans prendre en compte le degré de maturité de nos économies respectives.

 

Le renforcement des échanges sous-régionaux, à travers des initiatives comme la ZLECAF, est également crucial pour stimuler le commerce intra-africain et maximiser les opportunités économiques dans un contexte où seulement 16% du commerce africain est sous régional. Enfin, il est impératif de lutter contre les inégalités de genre en créant un cadre économique et social où les femmes ont un accès équitable aux ressources et aux opportunités, ce qui est fondamental pour un développement durable et inclusif.

 

Les pouvoirs publics doivent travailler à mettre en place un cadre règlementaire pour permettre aux acteurs économiques de créer de la valeur. Mais les pouvoirs publics ne peuvent pas se targuer uniquement de cette mission. Elles doivent aussi travailler à mettre en place les mécanismes de redistribution de cette richesse, mettre en place les filets sociaux (assurance maladie,emploi, etc.) et enfin travailler à réduire les inégalités d’opportunités en investissant massivement dans d’éducation et la santé. Une politique équilibrée de développement du territoire serait la meilleure réponse au péril intégriste qui menace nos états nation en Afrique de l’Ouest car le terreau du fondamentalisme est la pauvreté, l’insécurité et l’absence de perspective pour une jeunesse sans repère.

 

Malgré des périodes de croissance économique, des pays comme le Burkina Faso, l’Égypte et le Mali montrent que la croissance, si elle est inégalement répartie peut coexister avec des troubles politiques majeurs. Au Burkina Faso, entre 2010 et 2014, une croissance économique de 5 à 7 % par an, portée par l’or et l’agriculture, n’a pas suffi à apaiser les frustrations populaires, ce qui a engendré en 2014, une insurrection qui a renversé Blaise Compaoré. De même, en Égypte, malgré une croissance de 6 à 7 % dans les années 2000, la révolution de 2011 a éclaté sous l’effet de fortes inégalités sociales, d’une élite accaparant les richesses et d’une corruption endémique. Le soulèvement a renversé Hosni Moubarak, mais les tensions ont perduré, menant à un coup d’État militaire en 2013 contre Mohamed Morsi.

 

Au Mali, avec une croissance économique stable autour de 5 % par an au début des années 2010, portée par l’or et le coton, les fragilités structurelles ont éclaté au grand jour. En 2012, la rébellion de l’Azawad, menée par des groupes touaregs et alimentée par des revendications d’autonomie et des frustrations liées à la marginalisation des régions du nord, a plongé le pays dans une crise majeure. Cette rébellion, combinée à une insécurité grandissante due à des groupes djihadistes, a entraîné un coup d’État militaire la même année. Malgré des tentatives de stabilisation, l’instabilité a persisté, menant à un nouveau coup d’État en 2020.

 

Les propos du panafricain Nkwame Krumah raisonnent dans nos esprits : « Tout humanisme sérieux doit découler de l’égalitarisme et doit mener à des politiques choisies de façon objective dans le but de sauvegarder et de pérenniser l’égalitarisme ». Nous devons revisiter ces paroles afin de bâtir une Afrique prospère et plus juste car à l’horizon 2050, notre continent sera soit le cœur des opportunités de la planète ou sera une bombe à retardement pour la stabilité du monde. A nous d’en prendre conscience et de travailler sur la durée pour offrir aux générations futures un meilleur avenir.

 

Chabi YAYI

 

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